« Dans une affaire aussi dangereuse que la guerre, écrira ultérieurement le colonel Trinquier, les erreurs dues à la bonté dâme sont (...) la pire des choses. Comme lusage de la force physique nexclut nullement la coopération de lintelligence, celui qui en use sans pitié et ne recule devant aucune effusion de sang prendra lavantage sur son adversaire (8). » Face à un ennemi interne impossible à identifier, car disséminé dans la population, apparaît le concept de l« ennemi intérieur ». Dès lors, une place prépondérante est accordée tant au « renseignement politique » quà l« action policière ». Et, en Algérie, qui dit renseignement dira rapidement quadrillage urbain, interrogatoires et, finalement, torture. Avec le soutien implicite des autorités politiques, incapables dassumer leurs responsabilités, « ces exactions systématiques sont lexpression dune révolution dans lart de la guerre censée répondre à la guerre totale menée par les rebelles par une politique de terreur dont lenjeu est le ralliement des populations ». Sans quon le sache, les images de la bataille dAlger, en 1957, ressemblent à sy méprendre à celles que lon verra, dans les années 1970, en Argentine et au Chili. Cest que la doctrine française a acquis une dimension transnationale en attirant lattention des états-majors occidentaux. Dès 1957, rapporte Marie-Monique Robin, des élèves étrangers, dont de nombreux latino-américains, fréquentent lEcole supérieure de guerre de Paris. En pleine bataille dAlger, deux spécialistes français arrivent à Buenos Aires, prélude à un accord secret, signé en février 1960, prévoyant la création dune mission dassesseurs militaires français en Argentine. Cette même année, une « mission mobile » dofficiers français entreprend une tournée sud-américaine, tandis que La guerre moderne (9) du lieutenant-colonel Trinquier « devient la bible de tous les spécialistes, de lArgentine au Chili, en passant par les Etats-Unis ». En 1961, à la veille du « putsch dAlger », on retrouve le commandant Aussaresses instructeur à Fort Bragg, aux Etats-Unis. Attaché militaire, il donnera ensuite des cours au Brésil, en 1973. Cest en Argentine, il faut le dire prédisposée, que la greffe française introduira le plus rapidement le concept de l« ennemi intérieur ». Elle peut compter dans ce pays, révèle Robin, sur le soutien de collaborateurs et de vichystes ayant échappé à la justice avec la complicité du Vatican, dorganisations comme La Cité catholique, au sein de laquelle se distingue le « moine-soldat » Georges Grasset, ex-guide spirituel de lOrganisation armée secrète (OAS). La gangrène sétendra au Chili, puis, à travers lopération « Condor » (10), à lensemble du cône Sud, sajoutant à la « doctrine de sécurité nationale » professée par les Etats-Unis. Ainsi les Français participent-ils, en Amérique latine, à la mise en place dune matrice, celle du terrorisme dEtat.
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