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La participation française au
concept d« ennemi intérieur »
Dans
une solide enquête, Marie-Monique Robin retrace lhistoire
de cette « doctrine française » et de ses développements
peu connus en... Amérique latine (7). A travers des noms familiers
ou non Roger Trinquier, Pierre Château-Jobert, Marcel Bigeard,
Charles Massu, Paul Aussaresses , elle raconte comment nombre dofficiers
ont pu passer sans (ou avec) états dâme de la Résistance
à la « guerre sale ». « Car si larmée,
note-t-elle, semploie à tirer les leçons de la guerre
dIndochine, ce nest pas pour sinterroger sur les racines
sociales ou économiques des mouvements nationaux dans les pays
sous-développés ou sur linéluctabilité
de la décolonisation. » Du point de vue de ces militaires,
le conflit dépasse le cadre colonial français pour sinscrire
dans laffrontement larvé opposant, par pays interposés,
le Kremlin et le « monde libre ».
«
Dans une affaire aussi dangereuse que la guerre, écrira ultérieurement
le colonel Trinquier, les erreurs dues à la bonté dâme
sont (...) la pire des choses. Comme lusage de la force physique
nexclut nullement la coopération de lintelligence,
celui qui en use sans pitié et ne recule devant aucune effusion
de sang prendra lavantage sur son adversaire (8). » Face à
un ennemi interne impossible à identifier, car disséminé
dans la population, apparaît le concept de l« ennemi
intérieur ». Dès lors, une place prépondérante
est accordée tant au « renseignement politique » quà
l« action policière ». Et, en Algérie,
qui dit renseignement dira rapidement quadrillage urbain, interrogatoires
et, finalement, torture. Avec le soutien implicite des autorités
politiques, incapables dassumer leurs responsabilités, «
ces exactions systématiques sont lexpression dune révolution
dans lart de la guerre censée répondre à
la guerre totale menée par les rebelles par une politique
de terreur dont lenjeu est le ralliement des populations ».
Sans
quon le sache, les images de la bataille dAlger, en 1957,
ressemblent à sy méprendre à celles que lon
verra, dans les années 1970, en Argentine et au Chili. Cest
que la doctrine française a acquis une dimension transnationale
en attirant lattention des états-majors occidentaux. Dès
1957, rapporte Marie-Monique Robin, des élèves étrangers,
dont de nombreux latino-américains, fréquentent lEcole
supérieure de guerre de Paris. En pleine bataille dAlger,
deux spécialistes français arrivent à Buenos Aires,
prélude à un accord secret, signé en février
1960, prévoyant la création dune mission dassesseurs
militaires français en Argentine. Cette même année,
une « mission mobile » dofficiers français entreprend
une tournée sud-américaine, tandis que La guerre moderne
(9) du lieutenant-colonel Trinquier « devient la bible de tous les
spécialistes, de lArgentine au Chili, en passant par les
Etats-Unis ». En 1961, à la veille du « putsch dAlger
», on retrouve le commandant Aussaresses instructeur à Fort
Bragg, aux Etats-Unis. Attaché militaire, il donnera ensuite des
cours au Brésil, en 1973.
Cest
en Argentine, il faut le dire prédisposée, que la greffe
française introduira le plus rapidement le concept de l«
ennemi intérieur ». Elle peut compter dans ce pays, révèle
Robin, sur le soutien de collaborateurs et de vichystes ayant échappé
à la justice avec la complicité du Vatican, dorganisations
comme La Cité catholique, au sein de laquelle se distingue le «
moine-soldat » Georges Grasset, ex-guide spirituel de lOrganisation
armée secrète (OAS). La gangrène sétendra
au Chili, puis, à travers lopération « Condor
» (10), à lensemble du cône Sud, sajoutant
à la « doctrine de sécurité nationale »
professée par les Etats-Unis. Ainsi les Français participent-ils,
en Amérique latine, à la mise en place dune matrice,
celle du terrorisme dEtat.
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