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1.- Le prochain directeur du FMI ne doit pas être
européen !
(par Damien Millet et Isabelle Likouka, du Comité pour lannulation
de
la dette du tiers-monde)
Au début du mois de mars, le directeur général
du Fonds monétaire
international (FMI), l'Allemand Horst Köhler, a démissionné
pour
pouvoir briguer la présidence de la République allemande.
Sa succession
est aujourd'hui ouverte, remettant en lumière le processus
antidémocratique en vigueur au FMI (tout comme à la Banque
mondiale),
où les pays les plus industrialisés se partagent le pouvoir
et imposent
leur domination au reste du monde.
Traditionnellement, le directeur du FMI est un Européen
(tandis que son
numéro 2 et le président de la Banque mondiale sont désignés
par les
Etats-Unis), au mépris des règles élémentaires
de justice et de
démocratie. Cette fois encore, l'Europe trouve que "les traditions
ont
du bon" (Francis Mer), et se prépare avec difficulté
d'ailleurs - à
désigner son candidat. Cependant, les critères de choix
relèvent
exclusivement d'une stratégie géopolitique, et non d'une
compétence
particulière à respecter par exemple les statuts du Fonds.
Or, cette
question mériterait d'être posée puisque ses statuts
stipulent qu'il
doit contribuer à "l'instauration et au maintien de niveaux
élevés
d'emploi et de revenu réel", alors que les politiques qu'il
impose
depuis vingt ans les contredisent en répandant le chômage
parmi les
classes moyennes et la misère parmi les populations les plus fragiles.
Ce n'est pas là le seul point choquant au FMI.
Au sein de son Conseil
d'administration, composé de 24 membres et presque exclusivement
masculin, seuls huit pays ont le privilège d'être représentés
par
un administrateur chacun (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France,
Royaume-Uni, Arabie saoudite, Chine et Russie), tandis que les seize
autres administrateurs représentent des groupes de pays. Par exemple,
un administrateur espagnol représente le groupe formé par
le Costa
Rica, l'Espagne, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua,
El Salvador et le Venezuela. Ainsi, l'Espagne, pays riche, peut-elle
voter au nom de pays du Sud comme le Venezuela ou le Nicaragua !
Par ailleurs, le mode de fonctionnement du FMI est plus
proche de celui
dune entreprise que d'une institution démocratique. Tout
pays qui
devient membre du FMI se doit de verser un droit dentrée
appelé
quote-part : il devient donc actionnaire du FMI puisquil
contribue
à son capital. Mais cette quote-part nest pas libre : elle
est
calculée en fonction de limportance économique et
géopolitique du
pays. A partir de cette quote-part, un savant calcul permet de
déterminer le nombre de droits de vote de chaque pays. Ainsi,
contrairement à lAssemblée générale
de lONU où chaque pays possède
une voix et une seule (avec une exception de taille au Conseil de
sécurité où cinq pays détiennent chacun un
droit de veto), le système
adopté par le FMI revient à 1$=1 voix !
De ce fait, le conseil dadministration accorde une
place prépondérante
aux États-Unis (plus de 17 % de droits de vote), suivis par le
Japon,
lAllemagne, la France et le Royaume-Uni. À titre de comparaison,
le
groupe de 24 pays d'Afrique en possède moins de 1,5 %. Avec un
tel
système, les pays les plus riches parviennent sans mal à
réunir la
majorité : les représentants des dix pays les plus puissants
détiennent
plus de 60% des droits de vote.
Proche de celui dune entreprise, ce système
en diffère tout de même
par un élément important : alors quun actionnaire
classique peut
décider dacheter de nouvelles actions en Bourse pour devenir
plus
puissant, un pays ne peut pas décider d'un coup daccroître
sa
quote-part au FMI pour peser davantage au sein de l'institution. Le
système est donc parfaitement verrouillé par les plus gros
actionnaires
qui veillent jalousement sur leurs intérêts.
Mais le scandale ne sarrête pas là
: en pratique, les États-Unis
règnent en maître absolu. Ils sont parvenus à imposer
qu'une majorité
de 85 % soit requise pour toutes les décisions importantes engageant
lavenir du FMI. Or, étant le seul pays à détenir
plus de 15 % des
droits de vote, il s'est donc arrogé un droit de veto de fait qui
permet au Trésor américain de bloquer toute réforme
contraire à ses
vues. La présence du siège à Washington nest
pas fortuite...
En outre, les cotisations des États permettent au FMI de se constituer
des réserves qui sont prêtées aux pays en déficit
temporaire. Mais ces
prêts sont conditionnés à la signature dun accord
dictant les mesures
que le pays doit prendre pour recevoir largent attendu : les fameux
plans dajustement structurel. Cet argent est mis à disposition
par
tranches, après vérification que les mesures exigées,
néo-libérales
bien sûr, sont bien mises en uvre. La stratégie de
domination est à
peine dissimulée.
Tout ceci car le FMI ne doit surtout pas déroger
à la tâche qui lui a
été confiée voilà vingt ans : utiliser le
mécanisme de la dette pour
contraindre les pays du Sud à une ouverture aux forceps de leur
économie. Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie et ancien
numéro 2 de
la Banque mondiale, donc témoin privilégié, confirme
cette analyse :
"Si lon examine le FMI comme si son objectif était de
servir les
intérêts de la communauté financière, on trouve
un sens à des actes
qui, sans cela, paraîtraient contradictoires et intellectuellement
incohérents." En effet du point de vue des populations du
Sud et de la
satisfaction de leurs besoins fondamentaux, les politiques du FMI sont
effectivement contradictoires et intellectuellement incohérentes.
Malheureusement, une fois encore, le débat aujourd'hui
se déplace sur
une querelle de personnes alors que le choix d'un nouveau directeur
doit plutôt être l'occasion d'un grand débat public
mondial sur le rôle
de cette institution financière essentielle, à la légitimité
très
incertaine et aux choix si discutables. Cette institution spécialisée
de l'ONU doit enfin se soumettre effectivement aux textes
internationaux comme la Déclaration universelle des Droits de l'Homme
et cesser d'imposer des politiques économiques qui vont à
l'encontre de
l'intérêt des peuples.
Ainsi le FMI tient-il de beaux discours sur une bonne
gouvernance qu'il
n'a jamais été capable de promouvoir en son propre sein.
Pourquoi
l'intérêt des pays du Sud n'est-il jamais réellement
pris en compte ?
Pourquoi est-ce si incongru d'envisager un directeur du FMI argentin ou
congolais ?
(par Damien Millet et Isabelle Likouka, du Comité
pour lannulation de
la dette du tiers-monde)
http://www.attac.org/
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