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Monsanto : Agent Orange, Round up, manipulations
génétiques...
L'histoire du génie génétique
appliqué à l'agriculture est indissociable de celle de la
firme Monsanto, devenue aujourd'hui le symbole de toutes les aventures
et de toutes les dérives scientifiques, sociales et politiques
d'un capitalisme sûr de lui et dominateur. Cette histoire a été
reconstituée avec minutie par The Ecologist, revue emblématique
du mouvement écologique britannique, et reprise dans un supplément
spécial de Courrier international', auquel nous empruntons les
informations qui suivent.
Monsanto, l'une des premières
entreprises mondiales de chimie, est née avec le siècle
à Saint Louis, dans le Mississippi. Son nom est associé
à une étonnante série de catastrophes et de scandales,
de procès et de condamnations qui jalonnent son histoire.
En 1947, un cargo français
explose à Galveston, au Texas, devant une usine Monsanto : 500
morts. Dans les années 1960, les polychlorobiphényles, les
fameux PCB, manifestent leur aptitude à s'accumuler dans les chaînes
alimentaires : la morue de l'Arctique contient des taux de PCB quarante-huit
millions de fois supérieurs à l'eau de mer; chez l'ours
polaire, qui s'en nourrit, ces taux sont encore cinquante fois plus élevés.
Dans les années 19601970, comme nous l'avons dit, on montre parallèlement
que ces PCB, qui possèdent des effets cancérigènes,
sont de surcroît responsables de toutes sortes de désordres
immunitaires ainsi que de troubles du développement foetal et de
la reproduction. Or les PCB, c'est Monsanto.
Depuis 1976, ces produits sont
interdits aux ÉtatsUnis, mais leur centre mondial de fabrication
d'East Saint Louis, dans l'Illinois, est aujourd'hui une ville sinistrée
de par le nombre de décès in utero, de naissances prématurées,
de cas de mortalité natale et d'asthme infantile. La ville voisine
de Times Beach, dans le Missouri, est encore plus mal lotie : elle a dû
être évacuée en 1982 sur ordre fédéral
tant elle était contaminée. Mais, en l'occurrence, Monsanto
fut « miraculeusement » mis hors de cause : de notoriété
publique, sous la présidence de Ronald Reagan, l'Agence américaine
de l'environnement (EPA) était de connivence avec l'entreprise
au point qu'au bout de deux ans, Ann Gorsuch Bruford fut contrainte de
démissionner de la présidence de l'Agence. Or on savait
déjà, en 1982, que la contamination était due à
la dioxine, autre molécule symbole du «pouvoir Monsanto ».
Les
employés de la firme n'étaient d'ailleurs pas mieux traités
; les troubles constaté-. chez les ouvriers exposés aux
dioxines étaient soigneusement dissimulés. Pendant la guerre
du Vietnam, Monsanto fournissait en effet à l'armée américaine
le fameux «agent orange », un défoliant censé
faciliter le repérage dans la jungle des forces ennemies.
Mais l'agent orange de Monsanto contenait bien plus de dioxine que celui
fourni par une firme rivale, la Dow-Chemical ! D'où le versement
de dommages et intérêts s'élevant à quelque
80 millions de dollars, versés aux vétérans intoxiqués
par ce défoliant. Pourtant, Monsanto a tout fait pour cacher la
contamination de bon nombre de ses produits par les dioxines, soit en
la taisant, soit, pis encore, en fournissant au gouvernement de fausses
données ou des échantillons truqués destinés
aux analyses. Ce qui explique amplement la « douceur » de
la réglementation américaine sur les pesticides, notait
en 1990 Mme Jenkins, juriste à l'Agence. Quant aux centaines de
salariés malades, ils étaient purement et simplement exclus
des études sanitaires.
Vint
le «Round up », l'herbicide Monsanto, le plus vendu au monde,
que la firme qualifiait de « biodégradable » et d'«
écologique » avant d'être condamnée en 1998
pour publicité mensongère du fait de ces allégations
scientifiquement infondées. Ce ne fut là que la dernière
en date de toute une série de condamnations de Monsanto aux États-Unis,
ce qui ne l'empêcha nullement de poursuivre ses campagnes de publicité
en Europe sur ce même thème de la biodégradabilité.
Monsanto
a aussi à son actif la fabrication par transgenèse bactérienne
de l'hormone de croissance destinée à accélérer
la prise de poids et la lactation du fameux « boeuf aux hormones
». Malgré de nombreuses constatations scientifiques, la puissante
Food and Drug Administration donnait, en 1994, le «feu vert»
à la firme pour la commercialisation de cette hormone. On sait
depuis lors que les vaches traitées à l'hormone de croissance
présentent dans leur lait des proportions très augmentées
de l'hormone naturelle IGFl, hormone qui favorise les cancers du sein,
de la prostate et du côlon, tous en nette augmentation'.
Aujourd'hui,
la firme de Saint Louis cultive avec un zèle quasi missionnaire
la religion du « tout-transgénique », mariant non sans
habileté une sorte de messianisme salvateur à l'égard
des populations affamées et un intérêt certain pour
les bonnes affaires... La « bonne affaire suprême» consisterait
à s'assurer le marché mondial des graines par une situation
de quasi-monopole résultant de toute une série de rachats
de semenciers, et d'inféoder les agriculteurs du monde entier en
leur vendant des semences pourvues du fameux gène « Terminator
», c'est-à-dire productrices de plantes devenues incapables
de fournir des graines fertiles, donc susceptibles d'être ressemées.
Une agriculture stérile, mais fertilisée par les audaces
innovantes de Monsanto qui, année après année, mettrait
sur le marché de nouvelles plantes transgéniques afin de
prévenir la fâcheuse tendance que manifestent les insectes
à acquérir des résistances aux insecticides.
Car
ces plantes constituent souvent en elles-mêmes de vrais insecticides,
comme le très célèbre maïs transgénique
: il contient entre autres une partie d'un gène, issu d'une bactérie,
qui le rend capable d'élaborer dans ses tissus l'insecticide naturellement
produit par ladite bactérie (Bt). Une stratégie qui n'est
pourtant pas toujours payante, comme on l'a vu avec le naufrage du coton
Bt de la firme, qui l'a contrainte à retirer du marché ses
semences de coton et de verser des millions de dollars de dédommagement
aux agriculteurs du sud des États-Unis. Trois d'entre eux, qui
avaient refusé un accord à l'amiable, << à
l'américaine», se sont vu attribuer 2 millions de dollars
par le Mississippi Seed Administration Council. Le coton en question,
censé être insecticide, était infesté de parasites,
germait mal et présentait de multiples malformations !
Mais
rien n'y fait: le discours de Monsanto ne varie pas malgré quelques
reculs tactiques sur le gène « Terminator », par exemple.
Il est vrai que les appuis ne lui manquent pas et que la firme a une singulière
propension à intégrer à son conseil d'administration
les personnalités les plus influentes des États-Unis, ou,
en sens inverse, à instiller dans les administrations fédérales
des hommes à elle. C'est ainsi qu'en mai 1997, Mickey Kantor, responsable
de la campagne électorale de Bill Clinton en 1992, puis représentant
officiel du Commerce américain lors du premier mandat de celui-ci,
est entré au conseil d'administration de la firme. Et Marcia Hale,
ancienne assistante personnelle de Clinton, a assuré les relations
publiques de Monsanto au Royaume-Uni. En 1996, la firme a très
généreusement alimenté le fonds (légal) destiné
à financer la campagne de Clinton pour son second mandat. Pratiques
courantes aux États-Unis, mais qui, de ce côté de
l'Atlantique, feraient scandale.
Le
vice-président Al Gore, pourtant connu pour ses déclarations
et ses écrits sur la protection de l'environnement, se prononce
lui aussi en faveur des plantes transgéniques en reprenant à
son compte l'argument de l'industriel selon lequel celles-ci diminueraient
le recours aux pesticides... Et pourtant, les ventes de Round Up par Monsanto
ne cessent de croître ! Il est vrai que les plantes transgéniques
tolérantes au Round Up, comme le soja, le colza ou le coton, laissent
aux agriculteurs le champ libre pour arroser copieusement leurs plantations
avec cet herbicide, supposé ne tuer que les mauvaises herbes. Les
bonnes, elles, le tolèrent: entendre par là qu'elles l'assimilent
dans leurs tissus, de sorte qu'à l'instar du maïs devenu insecticide,
elles deviennent, elles, des « plantes aux pesticides». Aux
pesticides ou bien à leurs métabolites, que risque d'ingérer
des années durant le consommateur sans que, toutefois, le moindre
dossier d'évaluation de leur toxicité chronique ne figure
dans les demandes d'autorisation de mise sur le marché. On connaît
pourtant la fâcheuse tendance des pesticides à s'accumuler
dans la chaîne alimentaire'.
Qu'en
sera-t-il du Round Up ou de ses dérivés ? Mieux vaudrait
explorer à fond cette hypothèse avant d'inonder le monde
de ces plantes « relookées » par les soins de Monsanto.
Mais une telle entreprise engendrerait des retards à la commercialisation
et des frais de recherches incompatibles avec la culture de la transgénèse,
déclarée sans danger et sans risque par ses zélateurs.
Des pétitions de principe à prendre sous toutes réserves,
quand on considère le passé chargé de l'entreprise
!
L'ambition de cette dernière est d'ailleurs clairement affirmée
par son président, Bob Shapiro : voir se confirmer
la "loi Monsanto". Une loi qui aurait l'infaillibilité
d'une loi de la physique et selon laquelle les hautes technologies de
l'information, appliquées au génie génétique,
permettraient de doubler chaque année le nombre de produits - entendre
: plantes et pesticides - innovants. Alors que les plantes transgéniques
de première génération ne résultaient que
de la manipulation d'un seul gène, les nouvelles plantes de deuxième
et troisième générations contiennent déjà
plusieurs gènes manipulés à la fois, de manière
à changer radicalement leurs propriétés.
Ainsi, jouant au docteur Faust,
les apprentis sorciers de Monsanto annoncent-ils sans vergogne l'avènement
d'une « nouvelle nature », issue tout entière de leurs
propres oeuvres. Car tel est bien le dessein ultime de la firme: imposer
au monde ses nouvelles plantes sans verser aucune larme sur celles qui
ne manqueraient pas de disparaître sous la pression compétitive
des nouvelles arrivantes. Qu'importe, après tout, que les femmes
indiennes utilisent plus de 150 espèces de plantes comme légumes
ou fourrage, et bien davantage encore comme médicaments! Dans le
seul État indien du Bengale occidental, 124 espèces de «
mauvaises herbes » des rizières sont employées à
des fins diverses par les agriculteurs. Mieux encore : leurs collègues
de l'État de Veracruz, au Mexique, utilisent 229 espèces
de la flore et de la faune sauvages pour leur alimentation. Pour Monsanto,
toutes ces espèces sont appelées à disparaître
sous les épandages de Round Up, au profit des tristes monocultures
de soja et de maïs transgéniques... Monsanto !
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Extrait
de "La Terre en Héritage" de Jean Marie Pelt, p179.
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